Mode : quelle place pour la santé mentale ?

Parmi les sujets qui font parler au sein de l’industrie de la mode et du luxe : la santé mentale. Plus qu’un sujet sociétal contemporain, il permet aussi de comprendre le comportement et les demandes éthiques d’une nouvelle génération de consommateur comme l’explore cette conférence menée par Florian Müller, fondateur d’une agence créative centrée sur la mode, l’écoresponsabilité et spécialisée dans la santé mentale.

C’est au sein du forum IMPACT and Neonyt Paris, espace de conférence centrée sur les questions sociétales, qu’une foule internationale s’est pressée afin d’assister à la table-ronde « Breaking the Cycle: Ethical Demands, Consumer Behavior, and Mental Health in Fashion ». En français, "Rompre le cycle : demandes éthiques, comportement du consommateur et santé mentale". Un sujet de conversation large pour lequel Florian Müller, expert en la matière et également à l’initiative de la campagne « Mental Health in Fashion » a invité de nombreux experts dont la journaliste Samia Larouiche, Serge Carreira - le responsable des marques émergentes de la Fédération de la Haute Couture et de la Mode et enseignant à l’école de Sciences Po Paris, la mannequin et entrepreneur Kiko Hirakawa.


 Florian Müller est autorisé à travailler de manière psychothérapeutique, enseigne à l'échelle internationale et intègre la santé mentale dans les programmes éducatifs et l'industrie de la mode. En 2024, il a créé la nouvelle catégorie « Santé mentale dans la mode » au festival ASVOFF de Diane Pernet, offrant ainsi une plateforme internationale pour le dialogue et l'engagement créatif. Retour sur une conversation en 8 citations cruciales.

Mode et santé mentale : d’où vient le problème ?

 

Florian Müller : Il est temps de sensibiliser et de discuter de la manière de donner une nouvelle visibilité à la santé mentale dans l'industrie. Il ne s'agit pas seulement des consommateurs, mais de toutes les personnes impliquées dans le système de la mode.
Avec ma campagne, je rassemble des professionnels et des étudiants de tous les secteurs de l'industrie, je crée des espaces sûrs pour des échanges ouverts et je développe de nouveaux formats d'éducation et de soutien. En collaborant avec des partenaires internationaux, des semaines de la mode et des initiatives comme ASVOFF, je m'efforce de faire en sorte que la santé mentale soit reconnue comme une question centrale dans l'ensemble de l'écosystème de la mode. Ce n'est que par des échanges interdisciplinaires et des changements structurels que nous pourrons briser les tabous et faire de la santé mentale une priorité durable dans la mode. Comment pouvons-nous briser la stigmatisation ? 

 

Samia Larouiche : Lorsque nous parlons de durabilité, nous parlons d’environnement, d’économie et de social. Et cela inclut le droit du travail, la sécurité, la santé physique et mentale. Il y a trois profils : les marques, les employeurs et les consommateurs. La mode et la santé mentale ont une histoire problématique, comme l’a prouvé la culture populaire avec Le Diable s’habille en Prada ou la disparition du créateur Alexander McQueen, la polémique autour de John Galliano... L’industrie a dû commencer à aborder cette conversation pour la cohérence et l’image de l’entreprise. Certaines mesures déjà en place comprennent des politiques telles que l'interdiction des réunions après 17 ou 18 heures ou le vendredi, l'utilisation limitée des plateformes de chat officielles et des événements internes visant à éduquer et à sensibiliser. En outre, les entreprises s'adaptent pour soutenir les handicaps invisibles, comme la dyslexie, des ONG s'efforcent également d'accroître la transparence dans l'industrie, de protéger les travailleurs et de promouvoir la sensibilisation à la loi sur le devoir de vigilance, qui tient les entreprises responsables de leur impact sur les droits de l'homme. Dans l'ensemble, la mode sert de plateforme puissante pour interroger et sensibiliser sur ces questions cruciales.

 

Serge Carreira : Il y a une sorte de conflit entre les règles de l’entreprise et les nouvelles perspectives de gestion d’une entreprise. Le mythe romantique selon lequel être un designer, un génie, c’est souffrir, être seul… Les grandes choses sont faites à travers la douleur. En parlant de McQueen, il est l’un des designers les plus vénérés, mais aussi quelqu’un qui souffre beaucoup et nous gardons ces idées en vie. Certains designers ont une approche différente, Karl Lagerfeld a toujours été concentré sur le travail, mais l’a adoré. Jonathan Anderson est multitâche, mais trouve la joie. L’introduction de l’idée de joie doit être davantage promue. Il ne s’agit pas d’être plus naïf. En ce qui concerne les designers émergents, c’est une grande pression, car le marché n’a jamais été aussi compétitif. De nos jours, vous avez une couche de pression supplémentaire pour être à la fois manager, designer, etc. Le niveau de complexité de chaque domaine devient plus élevé, peu importe la taille de la marque. Cela met la pression sur les équipes et sur les designers. Nous devons donc briser les mythes.

 

Kiko Hirakawa : Je crois sincèrement que les standards de beauté jouent un rôle sur les problèmes de santé mentale. À 17 ans, j’avais un trouble alimentaire et je n’avais aucune estime de moi. Cela venait de mes agents de mannequins, mais il faut reconnaître qu’ils subissent une pression de la part des marques. Si vous leur parlez, ils vous parleront du risque de perdre des clients. En tant que mannequin, il est important d’accepter les imperfections. Nous devons être plus inclusifs envers les corps plus sains et plus âgés, plutôt que d’être obsédés par la jeunesse. Nous devons remettre en question les standards de beauté. Comment est-ce que je veux me sentir, profiter de ma vie et comment est-ce que je veux me présenter au travail ? L’industrie doit changer, mais le changement vient de nous-mêmes.

Trouver des solutions

 

Samia Larouiche : Ce qui est bon pour le consommateur est bon pour les affaires. Stella MCartney lance une édition limitée de sac avec Cleo Wade et le défenseur de la santé mentale Deepak Chopra. Les créateurs peuvent influencer l’industrie. 

 

Kiko Hirakawa : Avant, je parlais très ouvertement et aujourd’hui, je choisis de le faire dans le bon environnement et avec les bonnes personnes. Et j’ai pris l’habitude de participer à des tables rondes, des conférences, des talk-shows. C’est ainsi que je vois le changement se produire. Voyez où le changement peut aller. Les ressources pour les mannequins sont limitées, certaines organisations le font avec les Model Laws ou la Model Alliance. Mais je pense qu’il n’y a pas assez d’espace où les mannequins peuvent s’exprimer. J’espère que davantage d’agences valoriseront la santé mentale des mannequins. J’organise donc des rencontres avec les mannequins. Et pour les influenceurs, je veux souligner l’importance de connaître ses limites et ses frontières et de s’y tenir. C’est important.


 Florian Müller : Pour étendre la portée de la campagne, je développe de nouveaux partenariats internationaux et des projets innovants qui amplifient la voix des personnes touchées, favorisent un changement durable et font en sorte que la santé mentale devienne une priorité durable dans l'industrie mondiale de la mode.


Serge Carreira : au final, le problème est d’essayer de se conformer aux stéréotypes et de se difformer. Vous voulez être à la mode, donc vous vous enfermez dans quelque chose que vous n’êtes pas et ces déconnexions entre vous-même et la personne que vous avez en tête créent des problèmes. Être plus ouvert est un champ d’émancipation pour les personnes en marge. Essayez d'explorer les choses par vous-même au lieu de suivre ce qui existe ou ce qui a déjà été fait.

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