Gabrielle Huguenot : La Femme Serpent s’élève des ombres à la lumière sur Bijorhca

Dans l’effervescence continuelle du salon BIJORHCA aux côtés de Who’s Next, là où les tendances se façonnent et les idées s’entrechoquent, une silhouette énigmatique a captivé l’attention du public. Gabrielle Huguenot, lauréate du Grand Prix du Jury d’Hyères dans la catégorie Accessoires, a transcendé la scène de ce salon opéré sous l’égide de la BOCI, avec une performance à la fois troublante et hypnotique.

 La créatrice helvétique, armée de sa vision audacieuse et de ses pièces sculpturales, n’a pas simplement présenté une collection : elle a incarné un manifeste. Car Gabrielle Huguenot ne conçoit pas le bijou comme un simple ornement. Son travail explore la femme fatale dans ses paradoxes, l’éco-responsabilité comme un jeu de pouvoir, et la dualité entre oppression et émancipation. À travers sa créature mythologique – la Femme Serpent – elle redéfinit la place du corps féminin dans la mode et les récits qu’on lui impose. Au travers d’une conférence vibrante de créativité, la créatrice nous partage le cheminement créatif et conceptuel qui a mené à cette véritable ode à l’expression humaine, libre et sans contraintes. 

La Femme Serpent : rébellion et métamorphose


Tout commence en 2022, alors qu’elle est encore étudiante. Entre la désillusion face à une industrie asphyxiée par ses propres contradictions et une soif viscérale de créer autrement, Gabrielle Huguenot fait un choix radical : elle ne suivra ni la route de la conformité, ni celle de la destruction. Inspirée par ses icônes d’enfance – les femmes fatales de la pop culture, de Poison Ivy aux figures mythologiques de Méduse et de la symbolique du serpent – elle imagine un personnage hybride.


La Femme Serpent n’est pas là pour séduire. Elle est là pour exister selon ses propres règles. Comme le reptile tapi dans l’ombre de son vivarium, elle observe, se transforme, mue. « Le serpent ne vit pas pour nous divertir », rappelle la créatrice. Tout comme la femme fatale que l’on relègue trop souvent à un rôle figé, séduisante mais condamnée. Gabrielle Huguenot, elle, se refuse à cet enfermement. Elle réinvente ces figures, leur offre un destin autre que celui du tragique ou du silence, dans une poésie rappelant les mots de Aimé Césaire, “Nous sommes de ceux qui disent non à l’ombre”.

Bijoux de combat et reliques d’ombre


Sur la scène de Bijorhca, l’univers de la créatrice se déploie dans un spectacle disruptif, un hymne à l’affirmation de soi par l’ornementation. Ses bijoux et accessoires, plus que des parures sculpturales aux accents conceptuels, se dressent telles des armes symboliques.


Chaque pièce naît d’un instinct brut, sans dessin préalable, comme si elle était directement forgée dans la chair de la Femme Serpent. Des éléments métalliques récupérés dans divers univers – BDSM, pêche, joaillerie traditionnelle – deviennent les matériaux d’un langage visuel unique. Gabrielle Huguenot détourne les reliques du contrôle et de la contrainte pour en faire des symboles de pouvoir et d’affranchissement.


Un bracelet contraint la main à se baisser en un geste d’abandon forcé, un diadème oblige la tête à s’incliner comme dans un rituel d’abnégation. Mais ici, pas de résignation. Ces objets résonnent comme des provocations. Comment accepte-t-on d’être représenté(e)s ? À quel moment se réapproprie-t-on les symboles qui nous aliènent ?

« Ce qui me fascine, ce n’est pas l’objet en lui-même mais ce qu’il raconte sur nous »

Inspirée par les performances radicales de Marina Abramović, elle met en scène son propre corps dans ses créations, jouant sur la tension entre l’artiste et sa muse. Ce n’est pas un hasard si ses performances dérangent, si ses pièces provoquent. Certains les trouvent sublimes, d’autres troublantes. Mais toutes suscitent une incontestable réaction.

L’art de la disruption : au-delà du bijou, une immersion sensorielle


Dans cette édition de Bijorhca, Gabrielle Huguenot ne s’est pas contentée d’exposer ses créations : elle a offert un spectacle total, une immersion brute et totale dans son univers créatif. Sa direction artistique mêle installations, mouvements et expériences sensorielles, impliquant le spectateur dans un dialogue avec ses propres perceptions.


Lors d’un de ses shows, une robe parsemée de motifs moisissures évoque une réclusion forcée. Une paire de chaussures, volontairement importable, défie l’idée même de fonctionnalité dans la mode. Son parfum « Négligence », conçu aux côtés de la maison Firmenich, questionne la norme olfactive, osant explorer l’odeur corporelle comme un élément revendiqué et non effacé. À travers ces interventions, Gabrielle Huguenot s’inscrit dans une approche globale où le bijou devient un acte de langage. Une performance où se mélangent création et politique, où la femme fatale ne séduit plus mais impose son existence.

De l’ombre à la lumière : quelle suite pour la Femme Serpent ?


Dans un monde où les tendances sont autant légions qu’éphémères , rares sont les créateurs capables d’ancrer une vision forte et singulière. Gabrielle Huguenot fait partie de ceux-là. Son travail explore au delà des frontières de l’esthétique : il est conceptuel, disruptif, empreint de réflexions profondes sur la représentation du corps, le pouvoir des objets et la place de la femme dans la Mode, l’Art et la Société contemporaine. Avec la Femme Serpent, elle propose un récit en perpétuelle métamorphose. Une icône qui mue, évolue, s’affranchit de ses chaînes pour mieux s’affirmer.

Yann Jobard Setzu

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